Sélectionner une page

 Depuis quelques années, le comportement des consommateurs a bien changé. Cette évolution s’est en grande partie effectuée avec l’arrivée massive du digital dans nos vies et l’entrée de pure players comme Amazon ou Cdiscount. Ils ont disrupté le marché en proposant une offre très large, une livraison rapide et en effectuant un travail sur la sécurité, l’UX et l’UI design de leurs sites. Le consommateur n’est maintenant plus obligé de se rendre en boutique pour faire ses achats, faisant craindre à une disparition des points de vente physiques. Ces derniers ne sont pourtant pas morts, loin de là. Ils se réinventent, proposent de nouvelles expériences et même les pure players d’hier, ouvrent et rachètent des réseaux physiques. C’est par exemple le cas d’Amazon qui développe son réseau de librairies, d’épiceries et de supermarchés aux Etats-Unis et en Europe.
En France, les magasins physiques demeurent le canal d’achat préféré. Ils sont en effet perçus comme des lieux de convivialité, proposant une expertise dans leurs domaines respectifs et une qualité de service. Autres points non négligeables, ils permettent de repartir directement avec ses achats après les avoir essayés réduisant ainsi les risques de déception. De plus, les enseignes physiques sont un réel gage de confiance pour une partie des consommateurs.

Le digital a ainsi redistribué les cartes en donnant davantage de possibilités aux consommateurs, entrainant une mutation indispensable des magasins physiques. C’est dans cette optique que le phygital, un terme issu de la contraction de « physique » et « digital » intervient. Le phygital est aujourd’hui considéré comme une des principales opportunités pour redonner un second souffle aux magasins physiques. Cette stratégie va s’articuler de différentes manières autour de la data, du web et du digital en général. Alors que ces révolutions sont portées par le changement des attentes du consommateur, pouvons-nous dire que le phygital a définitivement mis le pouvoir entre leurs mains ou bien les enseignes par leurs initiatives peuvent le reprendre ?
Dans un premier temps nous allons nous intéresser au pouvoir du consommateur et les conséquences dans les différentes étapes du parcours d’achat. Enfin, nous nous intéresserons aux bénéfices du phygital pour les entreprises. Nous verrons également de nouvelles stratégies qui commencent à émerger, notamment tournées autour de la data.

Des consommateurs de plus en plus exigeants

Le consommateur a développé une exigence qui va se ressentir sur l’ensemble du parcours d’achat. Il va ainsi choisir le parcours le plus fluide possible et où les zones de frictions sont très faibles voire inexistantes. Selon Guillaume Cavaroc, retail manager chez Facebook, « la probabilité qu’une expérience d’achat soit décevante a été multipliée par trois entre 2017 et 2019 ». Non pas que la qualité de service se soit détériorée, mais plutôt parce que l’exigence des consommateurs a grandement évoluée. Les enseignes ont alors dû s’adapter à ces nouvelles attentes en développant de nouvelles solutions et services qui passent bien souvent par le digital.

Alors que le digital a engendré une accélération de nos vies, il devient de plus en plus inconcevable de devoir patienter en caisse, de subir une rupture de stock ou des délais de livraison de plus d’une semaine. Les enseignes l’ont bien compris et elles sont nombreuses à avoir investies pour mettre en place divers stratégies phygitales permettant aux clients de gagner du temps. C’est notamment le cas de McDonalds qui propose désormais dans l’ensemble de ses restaurants des bornes tactiles permettant la prise de commande et le paiement. Dans cette même optique, l’application Starbucks « No time ? No line » va encore plus loin en permettant de passer commande depuis son smartphone et de récupérer son café dans la boutique de son choix.

Internet a permis de faciliter la compréhension de l’offre et la comparaison des produits et services. Le consommateur va être davantage renseigné sur les caractéristiques du produit, les différences de prix entre magasin et les différents services proposés. Lorsqu’il se déplace, il arrive désormais renseigné, avec une idée plus précise du produit ou de la marque qui répond le mieux à ses besoins. L’arrivée massive des smartphones dans nos vies favorise cette pratique à n’importe quel moment de la journée et n’importe où. Selon Statista l’utilisation des smartphones en France est passée de 17 à 75% entre 2011 et 2018. Le consommateur est ainsi moins dépendant du discours du vendeur et va être davantage volatile. Il souhaite avant tout trouver le bon produit au meilleur prix avec un service de qualité et ce, peu importe l’enseigne. Face à ces consommateurs plus informés l’équipement des forces de vente en smartphones et tablettes est devenu de plus en plus commun voire indispensable. Cela présente différents enjeux, comme la personnalisation des conseils, un accès à l’ensemble des données du client et des magasins ou encore le paiement directement en rayon. Leroy Merlin a ainsi mené divers projets de digitalisation permettant de faciliter l’accès aux données pour le personnel en magasin. Les postes de travail sont centralisés dans des data centers pour les rendre disponible sur n’importe quel poste du magasin. De plus, en équipant l’ensemble des salariés en smartphones ils sont en capacité de montrer les produits, de voir les disponibilités mais aussi de faire de la gestion de rayon pour réapprovisionner si besoin.
L’équipement des produits en puce connectée est également une des solutions misent en place par certaines boutiques comme Nespresso pour éviter le passage en caisse. Le client peut ainsi directement payer son produit dans le magasin et repartir avec.

 

Les consommateurs, toujours dans l’idée d’un gain de temps et de limiter leurs déplacements ont peu à peu modifié leur manière de consommer et de faire leurs courses. Ils veulent désormais consommer quand ils veulent et où ils veulent. Ils vont ainsi être de plus en plus enclin aux solutions drive. En 2019, c’est plus de 600 ouvertures de drives en France qui sont venues compléter le parc de magasins existants. L’enseigne Carrefour a été fortement représentée avec l’ouverture de 323 drives à elle seule. De plus, cette dernière a récemment lancé les drives piétons permettant de retirer ses courses dans des consignes en libre-service à proximité du magasin. Pour cela il suffit de passer commande en ligne. Dans cette même optique nous pouvons également constater la généralisation du click and collect permettant d’acheter sur le site de la marque et de récupérer son produit dans le magasin de son choix.

 

Différents outils digitaux permettent d’offrir au client une meilleure visualisation du produit et de la gamme. Selon Thomas Morel, en charge de l’automobile chez McKinsey, « entre 2000 et 2017, la fréquentation dans les concessions a été divisée quasiment par quatre ». A l’inverse, « le temps passé sur internet pour se renseigner sur le véhicule a été multiplié par trois ». Les concessions automobiles sont alors amenées à s’adapter en privilégiant plus d’écrans au détriment du nombre de véhicules exposés. Pour 83% des consommateurs interrogés les supports interactifs représentent un gain de temps et pour 74% ils permettent de simplifier le parcours d’achat selon Digital Instore.
On comprend ainsi la stratégie de Nissan avec son City Hub inauguré l’année dernière près de Paris. Seulement deux véhicules sont exposés mais près de 90 mètres carrés d’écrans interactifs sont proposés aux clients pour lui permettre de personnaliser son véhicule. Ainsi, le client peut commencer la personnalisation chez lui et la terminer en boutique pour finalement se faire livrer dans différents lieux et concessions proposés par l’enseigne.
Ces évolutions ne concernent pas uniquement l’automobile. Le groupe allemand Douglas, équivalent outre-Rhin de Séphora, a entamé depuis quelques années une mue digitale de ses boutiques. Ils proposent désormais à leurs clientes des miroirs connectés permettant d’essayer plus de mille maquillages. Chaque cliente peut ainsi concevoir son propre style, la guidant dans ses achats et lui donnant la possibilité de partager ses créations sur ses réseaux.

 

Certains magasins sont allés encore plus loin, c’est notamment le cas du Groupe Casino qui a ouvert il y a quelques années « Le 4 Casino » à deux pas des Champs Elysées. Vaisseau amiral du groupe dans sa stratégie de digitalisation il présente les dernières pratiques principalement portées par le phygital. Le magasin est ainsi ouvert 24 heures sur 24, le client peut faire ses courses sans passer en caisse, en payant simplement avec son smartphone. Un grand écran tactile au centre du magasin permet de rapidement retrouver le produit de son choix et de guider la personne via un itinéraire renvoyé sur notre smartphone. Un écran permet de rapidement faire ses courses parmi les produits les plus vendus de l’enseigne et enfin des conseils sur les vins sont proposés en scannant simplement la bouteille.

Connecter les magasins, une manière de faire face aux pure players et de correspondre aux nouvelles attentes des consommateurs

Les attentes des consommateurs ont évolué, imposant peu à peu leurs exigences aux entreprises qui ont dû s’adapter pour mieux y répondre. Néanmoins, les entreprises sont nombreuses à y tirer leur épingle du jeu. Le phygital permet de séduire davantage de clients et de nouvelles cibles. Ainsi, les entreprises physiques profitent du phygital pour séduire une cible plus jeune, habituée du web et inversement pour les entreprises du web. En supprimant les frictions dans le parcours d’achat et en améliorant l’expérience dans son ensemble elles génèrent plus d’attachement à la marque et favorisent l’achat.
Au-delà du phygital, de nouvelles stratégies notamment centrées sur la data sont misent en place. Leur permettant comme on va le voir de mieux communiquer avec le client et d’accompagner à l’achat.

Le phygital présente en effet des opportunités de relai de croissance avec des leviers d’aide à la décision, de gestion de la relation client, ou encore de communication en partie basés sur la data. Selon Jérome Dalidet, CDO du groupe Toupargel, « les concepts et le positionnement des entreprises doivent évoluer pour s’adapter aux nouveaux enjeux ». Il faut donc repenser le concept marchand en réfléchissant à la valeur ajoutée de l’enseigne afin de proposer une expérience client. Il ajoute que le digital est un levier de croissance. Par exemple, pour Toupargel cela a permis une livraison dans toute la France, d’élargir la cible de clientèle mais aussi de devenir plus efficace notamment sur le plan logistique.

Le groupe Fnac Darty a bien compris l’importance du web et tente d’augmenter les ventes sur son site web tout en continuant d’attirer davantage de clients dans ses magasins. Cela lui permet d’enrichir son offre avec l’arrivée de vendeurs externes sur sa marketplace ou la possibilité d’acheter des livres au format numérique. Le groupe tend de plus en plus vers un modèle omnicanal où les magasins et les sites sont complémentaires. Ainsi, le directeur général du groupe, Enrique Martinez, affirmait que « les ventes en ligne doublent en moyenne dans une zone lorsqu’on y ouvre un Fnac ou un Darty ». Leur expérience dans le milieu et leur réseau de magasins sont un véritable atout, qui sert aussi bien le site web que les magasins physiques. On va ainsi retrouver des conseils des vendeurs et leurs coups de cœur sur le site. Ils se différencient des pure players en proposant des services supplémentaires comme la réparation en magasin ou encore de la livraison couplée à l’installation de produit électro-ménager à domicile tout en reprenant l’ancien matériel. Pour les magasins physiques le web est un excellent moyen de faire venir des consommateurs dans leurs points de vente, on parle alors de « drive-to-store ». Il y a ainsi de réels enjeux de référencement notamment avec les fiches Google my Business. En effet, 54% des utilisateurs de smartphones recherchent les horaires d’ouverture des magasins sur internet, d’après une étude Ipsos MediaCT. De plus, les annonces basées sur la localisation entrainent pour 32% une visite en magasin et pour 19% à un achat.
Leroy Merlin, est très dynamique dans sa stratégie digitale. Ce ne sont pas moins de 60% des clients qui ont utilisé au moins une fois le click and collect. Lorraine Valasina, directrice de Leroy Merlin et coordinatrice d’initiatives omnicanales disait en 2018, que les ventes sur le site internet avaient été multiplié par quatre en quatre ans, avec près de 250 millions de visites chaque année. Leur site web est ainsi une extension des magasins avec une offre élargie. La marque a réussi le pari audacieux d’augmenter l’engagement et de faciliter la vente grâce à une stratégie de contenu bien rodée. Leur site internet dispose de plus de 500 vidéos tutoriels pour guider le client dans ses travaux et aménagements. Permettant à tout un chacun de se projeter dans ses prochains travaux. En cas de doute, en plus des vendeurs en magasin il est possible de poser ses questions aux autres clients de l’enseigne via une plateforme en ligne.

Permettre la récolte et l’analyse de données

Les magasins physiques captent énormément de données sur leurs clients notamment grâce aux programmes de fidélité mis en place depuis plusieurs années, les tickets de caisse et parfois des services bancaires. Néanmoins, selon Clarisse Magnin au poste de Senior Partner chez McKinsey la plupart des distributeurs n’ont pas encore un parcours client intégré et une vision 360. D’après une étude de RIS News, « 45% des enseignes disposent d’outils technologiques spécifiques pour chaque métier et chaque canal de vente ». Cette organisation des systèmes d’information en silo est un frein évident, ne permettant pas une vision globale. Il y a donc une quantité d’information qui n’est pas suffisamment exploitée aujourd’hui. La data va pourtant permettre de faire converger le online et le offline et ainsi proposer une expérience client personnalisée. Le conseiller en magasin va par exemple pouvoir adapter ses conseils en fonction des précédents achats du client ou faciliter la vente en pré-renseignant les coordonnées du client pour la livraison. C’est également un moyen pour automatiser les processus et réallouer le temps de travail sur des activités à plus forte valeur ajoutée. Leroy Merlin est un très bon exemple de l’exploitation de la data puisque l’enseigne utilise l’intelligence artificielle pour optimiser la publicité par magasin et par zone de chalandise. Ainsi, le robot va choisir le réseau social sur lequel diffuser des publicités, il favorise le mobile ou le desktop et le type de produits ou promotions en fonction de l’historique des performances. Cela a permis de mieux cibler les clients et d’améliorer les performances des publicités. Les parts de marché des produits tractés sont ainsi passées de 8% à 10% du chiffre d’affaires.
Une bonne gestion de la data par les enseignes va donc devenir indispensable, d’autant que de nouveaux moyens de communication et processus font leur apparition. Les écrans tactiles interactifs en magasin, les réseaux wifi accessibles aux clients ou la prise de rendez-vous via le web vont permettre aux entreprises d’enrichir leurs bases de données. En effet, pour pouvoir se connecter à un réseau wifi il est bien souvent indispensable de renseigner son adresse mail voire parfois son nom et son prénom. Les enseignes, dans une stratégie omnicanale vont devoir s’approprier toutes ces données pour créer des passerelles entre le digital et les magasins. Ce sera pour elles, l’opportunité de fidéliser les clients avec une approche personnalisée. C’est dans ce cadre que différents dispositifs comme les balises Beacon par exemple, capables de localiser un individu dans un périmètre proche de l’enseigne vont devenir redoutables. Coupler à un CRM et une connaissance fine des clients, le bon message pourra être envoyé au bon moment. Cela va par exemple être le fait de proposer une promotion pour un article qui avait été mis dans le panier la veille ou envoyer des pushs liés aux habitudes de consommation.

 

Comme nous avons pu le voir les nouvelles attentes des consommateurs ont poussé les enseignes à investir notamment dans le phygital pour continuer d’exister. Les consommateurs, plus volatiles, sont désormais en attente d’une expérience sans friction et vont facilement passer d’une marque à l’autre au moindre problème. C’est ainsi une victoire pour le client qui profite d’une qualité de service accrue, avec une palette de possibilités adaptées à ses envies. Néanmoins, les grandes enseignes sont loin d’être les perdantes. Ces mutations ont été pour elles l’opportunité d’élargir leur cible et de vendre davantage. Cela permet également d’éviter les pertes de temps pour les salariés et les concentrer sur des postes à plus grande valeur ajoutée. On peut finalement dire que cette évolution du marché est gagnante pour les clients comme pour les entreprises.
Néanmoins, ces dernières sont sur le point de prendre un avantage considérable sur les consommateurs grâce à la data. Une connaissance de plus en plus fine des consommateurs et de leurs attentes va peu à peu leur permettre d’être très efficace dans chacune de leur campagne. Cela va par exemple s’articuler autour d’une personnalisation accrue, permise grâce à l’acquisition de données sur les derniers achats, les passages en magasin et les visites sur le site web.
Dans cette course aux investissements et aux nouvelles technologies la question des plus petites structures se posent. Comment les petits magasins vont pouvoir faire face à la force de frappe des grandes enseignes ? L’écart se creuse peu à peu que ce soit par le phygital et les différents services associés ou par les évolutions liées à la data dans son ensemble.

 

Nicolas BRETAGNE

 

 

 

Bibliographie :